Bulletin N° 42
L’énergie éolienne a bonne presse, mais dans les campagnes, son développement suscite une contestation toujours plus vive : dans tous les coins de France où s’annoncent des pylônes de plus de 100m de haut, des associations s’élèvent et même déposent des recours. Ces rejets prennent les écologistes à revers et les industriels par surprise.
Il est vrai que les éoliennes posent un problème paysager. Quelle que soit l’opinion esthétique qu’elles suscitent, elles ne passent pas inaperçues : atteignant 120m de haut, avec un rotor de 80m de diamètre, une éolienne de 2 mégawatts requiert une fondation de près de 600 tonnes de béton. Nous percevons ainsi l’impact visuel des éoliennes de Bouin qui ne se sont pas intégrées dans le paysage du Gois, elles accaparent le regard ; disproportionnées par rapport au site, elles ont créé un nouveau paysage qui a occulté l’ancien. Au pied d’une éolienne, on peut légitimement admirer son élégance et ressentir de la fierté devant la prouesse technologique, mais trancher le débat entre écologistes, pollution atmosphérique contre pollution visuelle et beaucoup plus difficile.
Le Conseil général des Ponts et Chaussées a produit en décembre 2004 un rapport intéressant consacré à ces questions, nous allons en citer de larges extraits :
« Au niveau départemental, la nécessité a conduit des préfets, sans instruction à ce niveau, à élaborer des schémas éoliens. Ce territoire plus restreint a facilité l’obtention de schémas plus opérationnels. Des groupements de communes et des parcs naturels régionaux se sont également lancés dans des démarches. Pour utiles qu’ils soient, tous ces schémas pourtant fondamentaux sont élaborés dans l’urgence sans réflexion méthodologique suffisante et ne conduisent pas à un choix d’espaces susceptibles d’accueillir dans de bonnes conditions des fermes éoliennes. Les critères retenus sont très variables d’un département à l’autre.
…………
La justification du développement inéluctable des éoliennes en France repose sur quelques idées reçues qui paraissent de prime abord évidentes mais qui, à l’analyse, sont discutables, voire même erronées.
1.- « Les éoliennes vont permettre à la France de réduire ses émissions de gaz à effet de serre ».
La production énergétique est décomposée en deux sources complémentaires :
• La production de pointe, qui provient de centrales thermiques classiques et qui permet de faire face aux fluctuations de la demande en énergie ;
• La production de base, qui provient en totalité en France des centrales nucléaires dont la production ne peut guère être modulée. Les éoliennes, dont la production ne peut être régulée à volonté, en fonction de la demande, concourent à la production de base. Mais celle-ci est déjà excédentaire en France compte tenu du parc existant de centrales nucléaires, ce qui conduit déjà EDF à exporter en continu une quantité appréciable d’énergie électrique vers les pays riverains. Dans ces conditions très particulières qui n’existent actuellement qu’en France, le développement de l’énergie éolienne ne servira qu’à augmenter les exportations françaises d’énergie mais ne réduira pas la production des centrales thermiques qui restent indispensables pour répondre aux demandes de pointe.
En simplifiant un peu, on pourrait dire que le développement de l’éolien en Languedoc-Roussillon par exemple se fait en important des éoliennes construites en Espagne pour réexporter de l’électricité dans ce pays, ce qui oblige à créer une nouvelle ligne à haute tension controversée à travers les Pyrénées.
Ce raisonnement ne s’applique pas dans les îles éloignées et dans les départements et territoire d’Outre-Mer qui ne sont pas alimentés par l’énergie nucléaire mais par des centrales au fioul.
2.- « L’éolien est une activité qui crée des emplois ».
Trois pays (Allemagne, Espagne et Danemark) qui ont instauré un moratoire sur l’énergie nucléaire, se sont engagés en contrepartie dans une politique industrielle très volontariste, en créant plusieurs dizaines de milliers d’emplois et en instaurant un monopole sur la fabrication des éoliennes. La situation est complètement différente en France où n’existent que quelques équipementiers et une seule PMI fabriquant des éoliennes. Encore, s’agit-il de modèles de faible puissance destinés à l’exportation et aux DOM. Toutes les éoliennes installées en France métropolitaine sont achetées à des entreprises des trois pays européens fournisseurs qui assurent en général la maintenance. L’essentiel de l’activité en France concerne des sociétés en charge de montage administratif et financier des projets éoliens.
Ceux-ci installés, les emplois permanents sont très limités, en moyenne un par ferme éolienne importante. Les retombées positives de la création de fermes éoliennes en France se situent essentiellement au niveau financier. Le taux de retour de cet investissement peu risqué, qui bénéficie d’assurance et d’une garantie d’achat de la production, est particulièrement élevé (entre 10 et 20% suivant les situations). Les communes ne peuvent légalement être maître d’ouvrage de ces projets mais perçoivent une taxe professionnelle de 200.000 euros par an pour une ferme de 12MW, ce qui est motivant pour une petite commune.
3.- « L’impact paysager est une notion subjective, non-quantifiable »
En termes de visibilité d’une éolienne, on définit deux paramètres très représentatifs :
• La surface de covisibilité représentant l’ensemble des lieux d’où l’éolienne est visible ;
• L’impact visuel qui est l’intégrale de la surface apparente de l’éolienne sur la surface de covisibilité.
À défaut, on peut aussi définir plus simplement l’impact visuel comme le produit de la surface de covisibilité par la surface apparente de l’éolienne.
À puissance installée égale, l’impact visuel de grandes éoliennes est donc considérablement plus important que l’impact de petites, même si elles sont plus nombreuses. L’impact visuel ressenti par un observateur est encore renforcé lorsque des situations spécifiques attirent particulièrement son regard. C’est le cas notamment de l’effet d’alignement, lorsque des éoliennes sont situées à la même hauteur et à la même équidistance. L’impact visuel est en revanche réduit dans le cas de bouquets d’éoliennes réparties sur plusieurs plans et plusieurs niveaux qui ne se distinguent plus les unes des autres à une certaine distance. Contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, la visibilité d’un nuage d’éoliennes judicieusement réparties sur un site est moindre que celle de quelques éoliennes alignées sur la crête. Pourtant, la tendance actuelle est à l’installation d’éoliennes de plus en plus hautes et puissantes.
4.- « Plus les éoliennes sont puissantes, plus l’investissement est rentable ».
À partir des prix de vente et des caractéristiques des éoliennes proposées sur le marché à un moment donné, on peut définir la rentabilité de chaque modèle. On constate que le coût de la machine est directement proportionnel à la surface du rotor, avec un surcoût pour les plus grosses machines. Si ce n’est pas le prix des équipements, on peut alors se demander ce qui pousse les promoteurs à installer de très grosses éoliennes. Un suivi auprès de prospecteurs chargés de monter des projets a permis d’identifier au moins deux raisons :
Insister sur le faible nombre d’éoliennes d’une ferme est le meilleur argument de commercialisation pour convaincre du peu d’impact du projet sur l’environnement. Même si le raisonnement n’est pas fondé comme on l’a vu précédemment, il est perçu positivement par les interlocuteurs peu avertis de la gamme des matériels disponibles et de l’extrême variabilité de leur impact visuel.
À puissance égale installée, des éoliennes très hautes et alignées nécessitent une superficie de terrain plus faible que des éoliennes plus basses et plus dispersées. Or, la maîtrise foncière constitue un obstacle majeur, en termes de disponibilité et de coût, pour monter un projet éolien. Le plus souvent, le projet est construit à partir d’un terrain donné limité à partir duquel il faut installer le maximum de puissance, ce qui conduit à implanter du matériel de grande hauteur.
II – CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS Des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Danemark qui ont instauré un moratoire sur l’énergie nucléaire, ont fait le choix de l’éolien pour la production électrique de base et se sont dotés d’une industrie en conséquence. La situation en France est exactement opposée (production de base couverte par l’électricité nucléaire et absence d’industrie de l’éolien), et la production d’un parc éolien ne peut être qu’exportée et ne participe pas à la réduction de l’émission en France de gaz à effet de serre. Néanmoins, des mesures incitatives comme la valeur de rachat de l’électricité produite par les fermes éoliennes de puissance inférieure à 12 MW entraînent une prolifération de demandes de permis de construire, sans qu’une réglementation adaptée et une méthodologie pour traiter ces demandes aient été préalablement définies. Il s’ensuit une saturation des capacités des services instructeurs et une judiciarisation des procédures. L’implantation de projets mal conçus risque d’entraîner une destruction de paysages de qualité et finalement un rejet d’une énergie renouvelable dont l’intérêt à moyen terme est certain. Le ministère de l’équipement avec les DDE se situe en première ligne de l’élaboration des schémas départementaux, de la délivrance des permis de construire et de l’application de la réglementation basée sur le code de l’urbanisme. Pour éviter les erreurs les plus manifestes, il y aurait lieu d’entreprendre dans les meilleurs délais un bilan quantitatif et qualitatif par département de l’application de la circulaire de 2003, ainsi qu’une analyse économique de la filière incluant les coûts externes et les effets sur le tourisme. Des adaptations de la réglementation sont réclamées par tous les acteurs. Ainsi par exemple, le seuil de 12 MW fixé arbitrairement sans réelle justification pourrait être revu en nette hausse (à 40 ou 50 MW) afin d’éviter la prolifération de nombreux projets disséminés sur le territoire. En contrepartie, la valeur de rachat de l’électricité éolienne pourrait être baissée sans nuire à la rentabilité des projets. Des limitations de hauteur et de puissance des éoliennes devraient pouvoir être imposées en fonction de la nature des paysages rencontrés. Des mesures devraient être fixées concernant la sécurité à proximité des futures éoliennes. En matière de communication, la priorité en faveur des économies d’énergie pourrait être rappelée. »
Il serait beaucoup plus efficace de mener un programme sérieux d’économies d’énergie par exemple l’isolation des bâtiments existants, qui ne demanderait pas plus d’argent public – ce qui ferait facilement baisser la consommation d’énergie de 10%, soit davantage que ce que fourniraient 2 000 éoliennes.
ORDRE DE GRANDEUR
Puissance d’un réacteur nucléaire: 1 000 MW
puissance d’une éolienne: 2 MW
-> pour remplacer 1 réacteur: 500 éoliennes
mais les éoliennes ne produisent que 1/3 du temps
-> pour remplacer 1 réacteur: 1 500 éoliennes
2 éoliennes doivent être espacées de 300 m
-> 1 500 éoliennes représentent une ligne de 450 km.
La France dispose de 58 réacteurs.