Article du Bulletin N° 37
De l’aménagement à la conservation
Des visions différentes du paysage
Le paysage des marais salants est considéré par la plupart des observateurs de notre Île comme une richesse exceptionnelle. Une grande partie de ce territoire, encore en friche, nécessite d’être conservée en eau salée dans l’attente du redéveloppement progressif de l’activité saunière.
Ce paysage a subi les conséquences des grandes évolutions du foncier de l’île depuis cinquante ans, du remembrement agricole aux grandes emprises foncières privées et publiques en passant par les grands travaux d’aménagement des zones aquacoles et ostréicoles. Parallèlement, l’évolution sociologique a favorisé une perte de mémoire et l’apparition de nouveaux usages, souvent incompatibles ou sources de conflits, hydrauliques, de voisinage, ou d’intérêts, sur la destination prioritaire des zones ou des parcelles . De cette diversité d’approches naît facilement une controverse s’exprimant logiquement sur le plan politique.
Un paysage naturel ?
Les “Marais” de Noirmoutier sont une désignation générique bien commode pour tous ceux qui ignorent ou oublient la fonction “salante” originelle de la plus grande part de ces espaces.
La forte évolution sociologique insulaire a favorisé la multiplication de résidents connaissant mal l’histoire de l’île, parfois militants pour une qualité environnementale au sens large, venus de villes où l’on rêve de terres vierges.
Constituant les 3/4 des zones humides de l’île, les marais salants sont encore souvent considérés du seul point de vue écologique. La gestion peut alors être prioritairement consacrée à la sauvegarde de certaines espèces pouvant coloniser les écosystèmes que constituent les marais en friche.
L’oiseau peut quelquefois apparaître comme le personnage principal. L’effet des subventions peut influer sur les objectifs de conservation. Certains acteurs peuvent vouloir créer ou favoriser des milieux artificiels pour la nidification ou le repos d’ espèces considérées comme critères de biodiversité.
Cette vision naturaliste aboutit à considérer l’activité saunière comme un arrière-plan décoratif où la silhouette du saunier sert de faire valoir à l’animal mis en vedette.
Cette attitude témoigne de l’émergence d’une nouvelle vision non agricole du monde rural, parfois du fait de professionnels de l’ environnement. L’existence de l’activité saunière est alors “tolérée” dans son propre territoire.
Un paysage cultural au fort potentiel socio-économique
Pour tous les connaisseurs de l’histoire de l’ île, les marais sont sous-entendus salants. Ils sont une oeuvre historique entièrement humaine. Le paysage de référence est un vaste jardin où chaque parcelle de terre était pâturée ou cultivée. Chaque parcelle d’eau, était l’élément actif d’une “manufacture à ciel ouvert” destinée, depuis le haut moyen-âge à produire du sel par dizaines de milliers de tonnes.
Pour tous ceux qui se souviennent de ce temps où tous les marais étaient cultivés, la première valeur de ces espaces est historique et patrimoniale, mais aussi socio-économique .
Le poids socio-économique de la profession saunière à Noirmoutier va croissant à mesure de l’impact visuel considérable des restaurations de marais salants sur l’image de l’île. D’été en été, des dizaines de milliers de personnes constatent qu’il se passe quelque chose dans le paysage des marais. Chaque étendue d’eau prend soudain un sens. A travers cette prise de conscience se renforce l’image d’un site de qualité et l’identité collective de l’île. Beaucoup d’insulaires y retrouvent leur mémoire. Après une longue période de déclin et d’abandon vécue par tous avec tristesse , le marais salant retrouve une place centrale dans l’économie insulaire.
Complémentarité des visions
Les différentes visions ne sont pas forcément antagonistes. Il est bien attesté que l’habitat que constitue le marais salant en activité est un facteur de biodiversité. Comme le souligne Alain Gentric, administrateur de la Ligue pour la Protection des Oiseaux en Loire Atlantique dans un entretien pour la Revue Terre Sauvage (N°179) “on s’est rendu compte que dans une zone de marais salants entretenue, le nombre d’espèces remarquables est incroyablement plus important, alors que quand un marais est abandonné, les oiseaux disparaissent.”
En tant que faciès caractéristique du paysage de l’île, le marais salant constitue donc un milieu exceptionnel à plusieurs niveaux, comme paysage historique, source de richesse économique et humaine, et comme biotope remarquable.
1981-2003. De l’ ”Aménagement” à la Conservation
A la création du “Syndicat Mixte d’Aménagement des Marais” (SMAM) en 1981, s’affirmait la volonté d’un développement économique “moderne” et d’une politique de grands travaux équivalant au remembrement de la plaine agricole vingt ans plus tôt. La première vocation de cette structure était de trouver d’énormes financements, ce qu’elle a fait très efficacement.
A cette époque l’aquaculture et l’ostréiculture étaient présentées comme “la solution miracle”, le seul véritable avenir des “marais” qui ont perdu dès lors leur adjectif “salant”. Depuis plusieurs dizaines d’années déjà, tous les élus s’étaient peu à peu convaincus de l’inéluctable et irréversible disparition de cette activité que seuls quelques héroïques anciens perpétuaient, conscients d’être les derniers des derniers. Personne ne croyait vraiment au renouveau d’une profession que quelques jeunes saunières ou sauniers prétendaient alors faire revivre.
Aujourd’hui le contexte socio-économique de l’île a changé.
L’impact économique induit du marais salant et le nombre d’emplois agroenvironnementaux créé, la valeur paysagère et patrimoniale de l’activité, imposent des cahiers des charges d’entretien et de gestion spécifiques aux circuits hydrauliques indispensables à la production de sel.
Questions sur le SMAM
La politique de “remise en eau salée” des zones de “marais” que le SMAM a réalisé depuis sa création en 1981, n’a pas été motivée d’abord par l’activité salicole mais par une volonté de transformations radicales des circuits hydrauliques pour développer de nouvelles activités nécessitant des volumes d’eau fraîche importants.
La plupart des meilleurs marais salants de l’île ont à cette époque été surcreusés, transformés de façon irréversible sans que le développement annoncé tienne toujours ses promesses.
A l’actif du SMAM, les travaux de remise en eau salée ont permis d’éviter l’assèchement de nombreux marais salants aujourd’hui en activité.
Beaucoup de ces travaux ont plus ou moins directement aidé les installations de nouveaux sauniers ou ont pu profiter au redéveloppement de l’activité. Mais après plusieurs années d’exploitation, beaucoup de sauniers se sont rendu compte de certains effets négatifs à long terme des travaux du SMAM. De très nombreuses destructions, du point de vue strictement salicole, ont été commises pendant plus de 20 ans en l’absence de cahiers des charges respectant les contraintes spécifiques de l’entretien et de la gestion hydraulique des zones de marais salants. Pour exemple la destruction quasi systématique des basses berges servant d’appui aux chaussées des étiers, les surcreusements de marais salants ou de zones hydrauliques aujourd’hui impossibles à vider de façon gravitaire ( provoquant un type d’envasement biodéfavorable, un rendement moindre, et un surcoût important aux exploitations) et la destruction de centaines de petits ouvrages hydrauliques en pierres ou en bois dont beaucoup étaient en bon état.
Urgences de conservation, l’assèchement.
Par défaut d’entretien hydraulique volontaire ou par négligence de leurs propriétaires quelques marais salants s’assèchent actuellement et se transforment en marais doux, puis en prés bas, c’est le cas par exemple des marais Mauviollière, de la Rivière, Doridon et de la Grande Loire
Cela est le fait de bouchages récents liés à des pratiques de chasse (mise en eau douce), à la volonté délibérée de certains occupants des prairies, ou parce qu’aucun travail d’entretien et de remise en eau n’y a été réalisé.
Parfois les mises à sec concernent des marais ayant bénéficié de nombreuses aides publiques. Dans certains cas, des marais sont transformés en bassins d’irrigation par surcreusement mécanique. (comme en Champierreux)
Le cas du Marais Roselieu est représentatif des pratiques d’une certaine époque. Utilisé comme décharge sauvage pendant de nombreuses années et comblé par plusieurs centaines de mètres cubes de déchets, il devrait “théoriquement” pouvoir être nettoyé aux frais du propriétaire sous l’autorité du Maire.
Le rôle des propriétaires
La forte division du foncier des marais salants, le nombre important de parcelles hydrauliques indivises, sont des facteurs de protection par les liens très forts qui existent entre une population et “son” territoire. Ils peuvent devenir limitants pour le développement durable si tous les propriétaires ne s’impliquent pas également dans l’entretien et la remise en exploitation des marais salants.
L’existence d’arrières-pensées spéculatives de la part de certains propriétaires dans des zones pourtant théoriquement protégées montre que des progrès sont encore à faire dans l’information et la communication sur ces zones. Une action d’information spécifique pourrait être menée en direction des propriétaires concernés pour les inciter à exercer leurs devoirs d’entretien et de mise en valeur dans un but d’intérêt général de développement socio-économique de l’île.
La définition culturale du marais salant va sans doute se réaffirmer au fur et à mesure du développement et de la structuration de la profession saunière. Le Syndicat des sauniers de Noirmoutier s’étonne que les statuts actuels du SMAM soient demeurés inchangés depuis leur origine et ne mentionnent pas clairement l’existence de la saliculture. Le Syndicat Mixte, qui souhaite apparaître comme le seul compétent pour l’aménagement du marais, peut-il continuer à fonctionner sans intégrer une instance consultative saunière proportionnelle à l’importance territoriale de cette activité ? La notion d’aménagement est-elle aujourd’hui adaptée pour désigner les fonctions de conservation, de restauration et d’entretiens spécifiques que mérite ce paysage cultural?
Nicolas Garnier, saunier, adhérent de “Vivre l’île 12 sur 12”